Sur la crise libyenne: Entretien exclusif avec Aguila Saleh

Dans cet entretien exclusif accordé à Stractegia, Aguila Saleh, président de la Chambre des Représentants en Libye, revient sur les principaux points qui s’imposent actuellement à l’agenda libyen. L’interview, menée en arabe par le journaliste et chercheur Mohammed Sreit, contient nombre de développements qui sont évidemment à comprendre dans le contexte dans lequel elles ont été prononcées. Le texte original de l’entretien peut être consulté en cliquant ici : http://stractegia.com/ar/archivos/2662. Nous en recensons cependant ici les points principaux soulignés par Aguila Saleh.

Selon le président de la Chambre des Représentants (CdR), l’institution qu’il chapeaute a certes une fonction législative, mais elle promeut également des initiatives intertribales ainsi que des tentatives de rapprochement entre les segments les plus représentatifs de la société civile libyenne. La CdR cherche, de même, à asseoir les demandes des Libyens telles que caractérisées par l’institution de structures étatiques, la consolidation de la séparation des pouvoirs, ou encore en veillant à l’application de la loi, toutes demandes coïncidant avec ce qu’ont toujours revendiqué les Révolutionnaires de février 2011.

Par ailleurs, poursuit Aguila Saleh, un État doté d’institutions fortes ne peut être érigé que sur des bases constitutionnelles et légales saines. En ce sens, le fait que la CdR ait tardé à adopter la loi sur le référendum constitutionnel s’explique par des désaccords entre députés, mais aussi par le fait que les représentants de la province de la Cyrénaïque aient rejeté cette loi ainsi que la constitution. Ils arguent en effet de ce que leurs droits ainsi que leur représentativité pourraient être affectés par le fait que les habitants de la Tripolitaine sont plus nombreux que ceux de la Cyrénaïque.

Aguila Saleh rappelle qu’il y a cependant eu accord, au final, sur le fait que la Libye serait organisée en trois circonscriptions électorales : la Tripolitaine, la Cyrénaïque et le Fezzan. Mais des divergences ont suivi, même si cela n’a pas empêché qu’une majorité de députés aient voté en faveur de la convocation d’une session spéciale aux fins de discuter la Constitution et la loi sur le référendum.

Aguila Saleh voit aussi que certaines forces, internes comme étrangères, poussent en faveur du maintien du statu quo politique en Libye. Il poursuit en ajoutant que son rejet, il y a deux ans, de la consécration de Fayez Sarraj répondait au fait que celui-ci faisait plutôt montre de faiblesse et annonçait une incapacité de la part de son gouvernement à diriger la Libye dans les circonstances qui se présentaient. Un fait qui, selon Aguila Saleh, s’est révélé depuis.

Par ailleurs, le président de la CdR voit que les sanctions prononcées par l’Union européenne à son encontre sont injustes ; il y voit une réaction devant son rejet du gouvernement de Fayez Sarraj, disant d’elles qu’elles n’ont aucun fondement juridique.

Aguila Saleh estime par ailleurs que le Gouvernement d’Entente Nationale est le premier responsable des récents évènements de Tripoli, car il a donné de la légitimité aux milices armées en place dans la capitale et les a utilisées pour sa protection, plutôt que de les désarmer.

Pour le reste, Aguila Saleh dit qu’il est toujours disposé à rencontrer ses adversaires. Cependant, poursuit-il, s’il ne veut rencontrer le président du Haut Conseil d’État Khaled Mishri, c’est simplement pour des raisons légales : la Chambre des Représentants n’ayant pas adopté à ce jour l’Accord politique libyen, il est dès lors impossible pour le président de la CdR de rencontrer une personnalité revendiquant un titre que le parlement ne reconnaît pas légalement à ce stade.

« Ce que veut la Libye »: Retour sur la visite du MAE libyen à Madrid

Les problèmes de la Libye sont complexes, mais la manière par laquelle les gouvernements européens les perçoivent sont assez connus. Pays riche en pétrole, route migratoire importante vers l’Union européenne, la Libye est aussi vue par ses voisins septentrionaux comme un pays en proie à l’instabilité politico-sécuritaire et au règne des milices, sur fond de tensions tribales, de sous-développement des infrastructures, ou encore de divisions politiques.

Moins connue chez les Occidentaux est la vision que peuvent avoir les institutionnels libyens de leur propre pays. Cette relative inconnue d’autant plus de pertinence aux propos tenus par le ministre des Affaires étrangères du Gouvernement d’Entente nationale (GEN) libyen, M. Mohammed Taher Sayala, lors d’une réunion qu’il a tenue avec des diplomates, journalistes, hommes d’affaires, experts et observateurs à la mi-septembre 2018 à Madrid, dans les locaux de la Casa Árabe.

Ingérences et diplomatie

S’il considère que le développement économique demeure un moteur privilégié pour l’amélioration de la situation politique à terme, M. T. Sayala ne nie pas pour autant le fait que la Libye doit beaucoup de ses problèmes aux ingérences faites par des pays étrangers, nombre d’entre eux régionaux. Qatar, Émirats arabes unis et Égypte font ainsi partie, à ses yeux, de ces États qui ont fait subir à la Libye, depuis l’année 2011, nombre de désarrois, dont la prolifération massive d’armes à échelle du territoire. Le résultat en a été une forme de militarisation des perspectives inter-libyennes, sur fond de renforcement des milices armées.

Conscient des difficultés qu’il y a à résorber la crise libyenne, M. T. Sayala n’en est pas moins convaincu de ce que les efforts diplomatiques, dont ceux conduits par l’ONU, peuvent aider à avancer positivement. Favorable à des sanctions – ou à tout le moins à des menaces de sanctions – à l’encontre « des » (sic) milices armées en action à Tripoli, Sayala ne voit cependant pas le salut de la Libye autrement que dans la mise en place d’un pouvoir le plus représentatif possible des tendances et des choix de la population libyenne. Il insiste ainsi sur le fait qu’ethnies, « minorités », tout comme les personnes représentant des tendances idéologiques diverses (dont les soufis, ou les Frères musulmans), doivent toutes avoir voix au chapitre. Cette ouverture affichée le pousse d’ailleurs jusqu’à évoquer le cas complexe de l’homme fort de l’est libyen, le général Khalifa Haftar, dont il ne nie en rien, ni le pouvoir, ni le fait qu’il devra continuer à avoir « un rôle » (sic) en Libye.

Le drame migratoire

Reste le problème épineux des migrations. Ici, le ministre libyen des Affaires étrangères voit essentiellement quatre priorités à adresser :

  • La nécessité pour la communauté internationale de promouvoir plus de politiques de développement dans les pays africains, source principale de ces migrations ;
  • L’importance pour les Européens de prendre conscience de ce que les actions à privilégier doivent privilégier la partie frontalière méridionale de la Libye, point de passage privilégié pour les migrants, plutôt que la mer Méditerranée ;
  • L’impératif que consiste l’octroi de plus d’aides financières à la Libye, afin qu’elle puisse régler ses problèmes, en termes notamment de gestion des mouvements de déplacés internes et d’entretien des camps d’accueil des réfugiés ;
  • Le développement de politiques plus efficaces contre les trafiquants en tous genres, et le déploiement de plus de moyens en ce sens.

S’ajoute aux propos du ministre libyen le fait que, selon lui, l’Espagne n’ait toujours pas développé, pour l’heure, une politique digne de ses réels moyens en Libye. Présent certes par l’intermédiaire de la compagnie pétrolière Repsol, Madrid se voit cependant faire remarquer par M. T. Sayala que les Espagnols se font attendre sur d’autres domaines. Et que les Libyens comprennent d’autant moins leur retard que l’Espagne est perçue très favorablement, du fait notamment de son soutien à la révolution de Février-2011. Il suffirait pourtant que Madrid décide de rouvrir son ambassade à Tripoli en signe de bonne volonté, insiste ainsi le ministre libyen des Affaires étrangères. Et de préciser qu’il ne faudrait pas non plus que cette décision tarde trop.

L’impuissance libyenne

L’appel de M. T. Sayala est logique, et tout à fait compréhensible. En dépit de difficultés qu’il ne cache pas, le chef de la diplomatie libyenne sait que son pays traverse une phase critique, pendant laquelle il importe pour Tripoli d’obtenir le plus grand nombre de soutiens internationaux. Les réouvertures d’ambassades, dont 42 sont actives à ce jour, seraient un pas important en ce sens, puisqu’elles suggèreraient – même si cela venait à s’avérer factice – une capacité de la part du Gouvernement d’Entente nationale à faire prévaloir ordre et stabilité – à défaut cependant de souveraineté – sur une partie au moins de son territoire.

La Libye a cependant besoin de bien plus pour se gagner la confiance de ses pairs. Les points évoqués par le ministre libyen des Affaires étrangères sont tous fondamentaux pour la compréhension de la Libye ; mais ils s’accompagnent de la nécessité pour les Libyens, politiciens comme citoyens, de se mettre d’accord sur la nature des institutions dont ils souhaitent bénéficier. Or un tel accord nécessite, outre un texte de référence – tel que celui incarné à ce jour par l’accord de Skheirat (2015) -, la présence de structures de type étatique sur lesquelles bâtir un ordre réel. Celles-ci demeurent pourtant à ce jour inexistantes. Et elles en ajoutent aux difficultés qu’a le GEN à se gagner des soutiens conséquents à sa cause.

La Libye continue aujourd’hui à être un point d’intérêt pour les Occidentaux du fait de trois raisons principalement : l’impact de l’instabilité sur la sous-région et sur les questions de terrorisme ; l’importance et l’ampleur des questions migratoires ; la donne pétrolière. Mais cela ne compense pas le sentiment de perdition qu’ont beaucoup de pays devant la fragmentation poussée des paysages politique, militaire et social libyens. Et l’on demeure dès lors toujours en peine de trouver une sortie de crise pour un pays qui peine à fournir ne serait-ce que des standards basiques, et exploitables, de gouvernance. C’est dire combien la situation libyenne actuelle est amenée à perdurer. Et à quel point la population libyenne serait avisée de prendre son mal en patience, faute d’alternatives viables et concrètes. –

Politique, économie, religion, sociétés: la politique africaine de l’Algérie

Après avoir été un pays d’accueil pour les opposants et autres militants anticolonialistes, l’Algérie a perdu, durant la décennie noire, de l’aura dont elle disposait au niveau africain.Malgré cela, elle continue à disposer à ce jour de relais et de capacités potentiellement efficaces.

Bouteflika et la dynamisation de la politique africaine de l’Algérie

Il aura fallu attendre l’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika au pouvoir, et les retombées d’une rente pétrolière importante, pour que l’Algérie commence à reprendre, peu à peu, les choses en main pour ce qui relève de sa politique africaine.Quatorze pays africains bénéficieront alors d’un effacement de leur dette, soit une somme totale d’environ 900 millions de dollars, en contrepartie évidemment de leur positionnement aux côtés de l’Algérie sur nombre de questions régionales et internationales.Ces pays sont les suivants : Bénin, Burkina Faso, Congo-Brazzaville, Éthiopie, Guinée, Guinée-Bissau, Mali, Mauritanie, Mozambique, Niger, Sao Tomé et Principe, Sénégal, Seychelles et Tanzanie.

Cette décision asuscité, depuis l’année 2010 en particulier et jusqu’à ce jour, des critiques en Algérie, notamment devant l’augmentation par le gouvernement de taxes et des prix de certains produits, parallèlement à son adoptiond’une nouvelle politique d’austérité.Ce sont cependant autant de voix dont l’Algérie avait/a besoin, dans l’enceinte de l’Union africaine surtout. L’intégration en janvier 2017 du Maroc, qui avait quitté précédemment la défunte Organisation de l’Union africaine (OUA),a en effet relancé une guerre sans merci entre les deux pays, que ce soit dans les coulisses,ou publiquement.

L’année 2010, point fort de de cristallisation des contestations populaires vis-à-vis des choix politiques algériens, était aussi l’année de l’organisation du Sommet France-Afrique à Nice, auquel avait assisté le président Abdelaziz Bouteflika,même si apparemment sans grande conviction. Le sommet intervenait un an après l’agression israélienne sur la bande de Gaza, qui avait amplement contribué à mettre en échec le projet d’Union pour la Méditerranée (UPM). La veille même de l’ouverture de ce sommet France-Afrique, en mai 2010, le navire humanitaire turc Mavi Marmara avait été entravé par Israël alors qu’il se dirigeait vers l’enclave palestinienne de Gaza, donnant un autre coup dur à l’UPM, mais aussi au projet d’entente franco-égyptien concernant le Conseil de sécurité.

L’UPM, le deal franco-égyptien, et Alger

Cet événement est important à mentionner car, durant cette période, le débat sur l’élargissement du Conseil de sécurité à de nouveau membres permanents avait fortement agité l’Union africaine (UA). Les Africains avaient réclamé l’obtentiond’au moins deux sièges au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, cependant que les grandes puissances ne voulaient leur en accorder qu’un seul dans un premier temps. L’Algérie, l’Egypte et l’Afrique du Sud étaient perçus par certains comme les poids lourds du continent, et donc les privilégiés. Mais c’était compter sans l’existence d’un deal franco-égyptien,qui voulait que le président français de l’époque, Nicolas Sarkozy, défende l’idée de deux sièges en faveur de l’Afrique au Conseil de sécurité, afin d’assurer une place au Caire, cependant que le poste restant irait à un candidat naturellement doté de suffisamment d’appuis – en l’occurrence, l’Afrique du sud.

Il y avait cependant un autre aspect lié à ce deal. Hosni Moubarak avait pour mission de faire revivre l’UPM (un projet mort-né dans les faits) en tentant de convaincre les pays arabes, dont l’Algérie, de siéger aux côtés d’Israël au sein de cette organisation, et ce, malgré les évènements qui avaient eu lieu à Gaza. C’était évidemment peine perdue.Qui plus est, la chute de Hosni Moubarak, en 2011,enterrera tous ces projets, faisant même perdre à l’Égypte son influence au sein de l’UA.

Le capharnaüm malien, Alger et Rabat

Pour ne rien arranger, c’est l’instabilité politique malienne qui en ajoutera aux soucis de la sous-région. Alger avait d’ailleurs une part de responsabilité dans celle-ci, du fait des tensions qui l’avaient entretenue, des années durant, à l’ancien président malien déchu Amadou Toumani Touré (ATT). ATT avait aussi été lâché par Nicolas Sarkozy, qui financera la rébellion touarègue dans le nord du Mali, en récompense à l’appui des targuis dans la guerre menée par l’OTAN contre Mouammar Kadhafi en Libye.

Cependant, la passivité algérienne lors du putsch militaire contre ATT se verra surtout expliquée par le fait que l’ancien président malien avait tourné le dos à Alger en se rapprochant de Rabat. Le Maroc avait, au passage, été d’un soutien capital au Mouvement pour l’unité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), un groupe terroriste allié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Le MUJAO avait son QG à Gao, ville cosmopolite où les liens des zaouïas avec le Maroc sont très étroits. Par la porte du MUJAO, le Maroc se voyait ainsi consacré comme acteur important dans les évolutions du Mali, cependant que l’Algérie tenait en main à la fois le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA),et le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA, qui entretient également des liens avec la Mauritanie),deux contrepoids utiles pour neutraliser le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA).

Dans ce remue-ménage, Alger parviendra à se replacer en amenant Bamako, le HCUA,le MAA ainsi que d’autres acteurs maliens et régionaux, à choisir Alger comme lieu de discussion pour la paix inter-malienne. Les premières tractations liées à cette donne s’étaient pourtant dérouléesdans l’espace de la Communauté économique de développement de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), et plus précisément au Burkina Faso. C’est d’ailleurs à Ouagadougou qu’eut lieu, le 18 juin 2013, la signature de l’«Accord préliminaire à l’élection présidentielle et aux pourparlers inclusifs de paix au Mali», entre Bamako et les anciens rebelles touarègues ; ce n’est que par la suite qu’Alger prendra le relais. Il n’y a d’ailleurs pas de hasard ici, l’Algérie connaissant plus que quiconque ce dossier pour avoir joué aux intermédiaires au Mali durant la première rébellion touarègue, au début des années 1990. L’actuel Premier ministre Ahmed Ouyahia avait alors été désigné pour mener les négociations et avaitmême réussi à mettre fin à cette rébellion, via un accord qui ne sera toutefois appliqué que partiellement.

La volonté touarègue de disposer d’un État indépendant avait fini par revenir à la surface en 2012, ce qui contraint l’Algérie à activer ses relais et ses moyens diplomatiques dans le souci d’éviter un effet de contagion chez ses propres touarègues. L’attaque contre la base pétrolière de Tigentourine (Hassi R’Mel), en janvier 2013, avait par ailleurs tiré la sonnette d’alarme sur la nécessité de stabiliser le Mali, pays d’où étaient partis les terroristes avant que de passer par le sud libyen. S’ajoute à cela le fait que, durant la période de discussions préliminaires et officielles liées au Mali, une guerre souterraine avait eu lieu entre Alger et Paris ; la France avaiten effet essayé d’imposer le Maroc comme partenaire dans ce processus inter-malien, malgré le fait que Rabat ne partageait pas de frontières avec Bamako.

Enfin, le conflit du Sahara Occidental n’est évidemment pas étranger à cette guerre diplomatique, le Maroc ayant accusé à maintes reprises le Front Polisario d’entretenir des liens avec les groupes terroristes au Mali ainsi que de verser dans la contrebande. Le Maroc avait fini par faire marche-arrière, préférant garder ses atouts économiques au Mali, à travers notamment le secteur bancaire, les services, la restauration et l’hôtellerie. Dans le même temps, la situation dans le nord du Mali a fait que l’Algérie y a perdu des marchés, le coût des exportations vers Bamako étant devenu excessif, combinaison de voies terrestres et maritimes d’approvisionnement oblige. L’Algérie se sentira dès lors l’obligation de déployer un autre bras diplomatique : l’imamat.

 « Politique de l’imamat » et relais sociopolitiques

Le 29 janvier 2013, Alger abriterale Congrès constitutif de ce qui sera appelé la « Ligue des Oulémas, prêcheurs et imams des pays du Sahel». La création de cette instance répondait au besoin que ressentaient les Algériens de lutter contre l’extrémisme religieux, sur le plan spirituel commeà échelle politique. Le Sahel et les pays de l’Ouest étant réputés être tolérants sur le plan religieux, la création de cette Ligue s’avérait idéale pour qui désirait sensibiliser les esprits sur la présence d’un extrémisme religieux dans cette région, et tenter de convaincre les populations locales de participer à la promotion de la paix. Trois ans auparavant, par volonté de sa part d’appuyer le Comité d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC, dont le siège est à Tamanrasset), Alger avait lancé l’Unité de fusion et de Liaison (UFL), en partenariat avec d’autres pays africains de la région (Mali, Mauritanie, Niger, Burkina-Faso, Libye et Tchad). Cette UFL avait plusieurs missions principales : collecter,traiter et échanger des renseignements sécuritaires au profit du CEMOC ; réfléchir aux mesures de lutte contre le terrorisme sur les plans politique, militaire et même social, à travers des campagnes de sensibilisation contre le radicalisme ; accompagner,sur les plans économique et social,les populations des pays impliqués dans cette unité; et enfin, mettre en place une stratégie de communication au profit du CEMOC.

L’intention d’Alger était claire. Consciente du poids des réseaux associatifs et des organisations humanitaires et de la société civile, elle voyait ici un moyen efficace d’accéder à l’information de première main et d’opérer donc efficacement sur les plans diplomatique et opérationnel, tout en disant respecter bien sûr le principe de non-ingérence militaire dans les affaires des pays concernés.

Entre allié sud-africain et partenaire éthiopien : l’Algérie au sein de l’Union africaine

L’affaiblissement de certains pays africains, l’instabilité soufferte par d’autres, et l’effacement de leur dette par l’Algérie, ont ouvert à cette dernière la voie à un retour en force au sein de l’UA. Les États membres, malgré leurs problèmes internes, avaient compris la nécessité de parler d’une seule voix aux fins de défendre les intérêts d’un continent transformé en nouveau terrain de jeupour les grandes puissances.

Outre les anciennes puissances coloniales et leur jeu déployé au début des années 2000, de nouveaux acteurs avaient commencé à s’installer sur le continent, avec à leur tête la Chine, l’Inde et les États-Unis, mais aussi Israël. C’est ce qui explique pourquoi l’Algérie installera des diplomates habiles à l’UA, à l’instar de RamtaneLamamra, le « Monsieur Afrique » de l’Algérie, ou de Smail Chergui, son successeur à la tête de la Commission pour la paix et la sécurité de l’UA. Il faut d’ailleurs rappeler ici que le passage de l’OUA à l’UA avait été acté à Durban, en Afrique du Sud, en juillet 2002. A l’acte constitutif de l’UA, les Africains avaient joint le lancement en parallèle du Nouveau partenariat pour le développement en Afrique (NEPAD, New Partnership for Africa’sdevelopment), un projet initié par Abdelaziz Bouteflika, Abdoulaye Wade (Sénégal), Thabo Mbeki (Afrique du sud) et Olusegun Obasanjo (Nigeria).

Pour l’Algérie, il s’agissait de déployer une action-chocsur le plan diplomatique. Mais pourtant, depuis, peu de choses semblent avoir été réalisées dans le cadre de ce partenariat, et ce bien que l’un des objectifs du NEPADait été de propulser l’Afrique vers de meilleurs horizons et de lui permettre de se hisser à la hauteur d’autres blocs actifs sur le continent.

Car finalement, et malgré ses intentions, l’Algérie donnera l’impression d’avoir tourné le dos à l’Afrique, comme en témoignerontnotamment les voyages officiels somme toute limités qu’effectuera Abdelaziz Bouteflika dans plusieurs pays africains. Il faudra attendre 2009, et le Festival Panafricain d’Alger, pour se rendre à quel point l’Algérie était déconnectée du reste du continent.Un indicateur fort en ce sens transparaît dans le fait que les ambassades algériennes présentes sur le continent africain n’assurent pas leur rôle de poste avancé pour la promotion de l’économie algérienne, l’aide aux investisseurs locaux ou encore le développementd’un cadre de coopération économique efficace.

Il demeure cependant un allié de taille sur lequel l’Algérie peut toujours compter pour défendre des positions communes sur le plan continental : l’Afrique du Sud. En 2001, alors que la Kabylie s’embrasait, le président de la République algérienne s’était offert un déplacement au Nigeria pour assister à un sommet de l’Union africaine sur le Sida. Lors de la séance de discussions à huis-clos, le président du Sénégal Abdoulaye Wade avait demandé la mention des évènements de Kabylie sur la liste des points inscrits à l’ordre du jour. Furieux, Abdelaziz Bouteflika ne dira pourtant rien, dans un contexte de relations tendues entre l’Algérie et le Sénégal à cette époque. C’est en fait son ami, le président sud-africain Thabo Mbeki, qui se chargera de répondre à sa place, en incendiant Abdoulaye Wade.

L’Afrique du sud fait aussi du lobbying pour défendre la cause sahraouie auprès des pays anglophones du continent africain. Un des volets de la diplomatie algérienne en Afrique est la formation militaire élargie assurée dans les écoles militaires algériennes,ainsi que la gratuité de la formation universitaire des étudiants africains. Depuis les années 1970, l’Algérie a formé plus de 100.000 diplomates africains, selon l’ancien ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra. Il faut noter que l’Algérie entretient aussi d’excellentes relations avec l’Éthiopie, qui abrite le siège de l’Union africaine. Une dynamique d’échanges diplomatiques et économiques a ainsi été mise en place par la nouvelle ambassade éthiopienne à Alger,dans le but d’attirer les investisseurs algériens en Éthiopie et de trouver des partenaires algériens pouvant aider au placement des produits éthiopiens sur le marché algérien.

Enfin, l’Algérie arepris le projet de la transsaharienne, route qui devrait lier Alger aux capitales du Sahel, en débloquant notamment des fonds à cet effet. Mais la situation sécuritaire demeure un frein pour achever ce projet qui pourrait pourtant consacrer l’Algérie comme tête de pont entre l’Afrique et les pays de l’espace méditerranéen.

L’Algérie a en effet des ambitions qui font sens, au vu surtout du potentiel que pourrait lui assurer le déploiement d’une politique africaine efficace. Mais demeure, en parallèle la question de savoir jusqu’à quel point Alger entretiendrait une vision réelle qui dépasserait le seul cadre de sa rivalité avec certaines de ses voisins régionaux. Dépasser craintes et rancunes serait pourtant le meilleur des catalyseurs pour une politique algérienne qui demeure bien en-deçà de ses capacités.

 

Ameziane Rachid

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