Depuis sept ans qu’elle vit un conflit dont les premières victimes sont la population, la Syrie n’en finit pas de susciter passions, polémiques, désaccords, contradictions quant à la réalité des faits qui s’y déroulent, et à la détermination de qui exactement doit répondre du désastre qui y prévaut. Ce phénomène n’est pas nouveau, les divergences et polémiques d’experts sur la manière dont il convenait d’interpréter « la réalité syrienne » ayant, dans les faits, existé bien avant 2011 et le déclenchement du « Printemps arabe ». Mais une nuance de taille est intervenue depuis lors : alors que les ouvrages francophones et experts traitant de la Syrie étaient plutôt limités avant 2011, on a assisté depuis à une inflation des expertises relatives à ce pays – et à la région prise dans son ensemble. Cela n’a fait qu’ajouter de la confusion à la bonne compréhension des réalités syriennes.
Comment, dès lors, prétendre pouvoir décoder les réalités relatives à un phénomène aussi complexe que celui des minorités en Syrie ? La tâche est peu aisée. Les chiffres relatifs à la taille effective de ces communautés ne peuvent être que spéculation, cependant que les mouvements de réfugiés et de déplacés internes qui ont prévalu depuis 2011 ajoutent leur lot de confusion à la réalité démographique syrienne. Il y a cependant moyen, au départ d’une connaissance de certains pans de la Syrie, et par la conduite d’entretiens avec les représentants, membres et spécialistes de ces communautés, d’esquisser des éléments d’appréciation sur plusieurs points. Parmi ceux-ci, la manière par laquelle ces communautés se positionnent devant les évolutions syriennes, la compréhension d’une partie des réalités qu’elles vivent, l’établissement de lignes générales d’appréciation quant à leur répartition sur le territoire, ou encore l’identification de la raison pour laquelle elles lisent – ou non – le pouvoir syrien en termes communautaires.
Si parler de la présence de politiques criminelles en Syrie ne fait à nos yeux aucun doute, les victimes de ces politiques ne se sont pas limitées au cas des minorités, puisque beaucoup des membres de la majorité arabe sunnite du pays ont tout aussi bien payé le prix de ces évolutions. Mais bien que la Syrie dans son ensemble ait souffert de ce qui s’est passé depuis 2011, les minorités ethniques et confessionnelles du pays méritent d’être analysées per se ; leur statut minoritaire les a rendues, généralement, extrêmement vulnérables.
L’étude présente ne prétend ni lever le voile sur toutes les réalités appartenant aux minorités ethniques et confessionnelles en Syrie, ni même bâtir une quelconque notion de « vérité absolue » qui s’imposerait à la compréhension des logiques et de la réalité du pays. Nous ne suggérons pas pour autant que ces minorités incarnent le « pivot » exclusif du pays ; pour preuve, le fait que la situation de la majorité sunnite du pays ait, dans le cadre de cette étude, été abordée aussi à travers plusieurs des dimensions qui lui appartiennent. La Syrie est peut-être faite de communautés aux perceptions parfois divergentes, mais ce n’est pas pour autant que la notion de « sentiment national » y est défaillante.
Barah Mikaïl, Cyril Roussel