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Politique, économie, religion, sociétés: la politique africaine de l’Algérie
Après avoir été un pays d’accueil pour les opposants et autres militants anticolonialistes, l’Algérie a perdu, durant la décennie noire, de l’aura dont elle disposait au niveau africain.Malgré cela, elle continue à disposer à ce jour de relais et de capacités potentiellement efficaces.
Bouteflika et la dynamisation de la politique africaine de l’Algérie
Il aura fallu attendre l’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika au pouvoir, et les retombées d’une rente pétrolière importante, pour que l’Algérie commence à reprendre, peu à peu, les choses en main pour ce qui relève de sa politique africaine.Quatorze pays africains bénéficieront alors d’un effacement de leur dette, soit une somme totale d’environ 900 millions de dollars, en contrepartie évidemment de leur positionnement aux côtés de l’Algérie sur nombre de questions régionales et internationales.Ces pays sont les suivants : Bénin, Burkina Faso, Congo-Brazzaville, Éthiopie, Guinée, Guinée-Bissau, Mali, Mauritanie, Mozambique, Niger, Sao Tomé et Principe, Sénégal, Seychelles et Tanzanie.
Cette décision asuscité, depuis l’année 2010 en particulier et jusqu’à ce jour, des critiques en Algérie, notamment devant l’augmentation par le gouvernement de taxes et des prix de certains produits, parallèlement à son adoptiond’une nouvelle politique d’austérité.Ce sont cependant autant de voix dont l’Algérie avait/a besoin, dans l’enceinte de l’Union africaine surtout. L’intégration en janvier 2017 du Maroc, qui avait quitté précédemment la défunte Organisation de l’Union africaine (OUA),a en effet relancé une guerre sans merci entre les deux pays, que ce soit dans les coulisses,ou publiquement.
L’année 2010, point fort de de cristallisation des contestations populaires vis-à-vis des choix politiques algériens, était aussi l’année de l’organisation du Sommet France-Afrique à Nice, auquel avait assisté le président Abdelaziz Bouteflika,même si apparemment sans grande conviction. Le sommet intervenait un an après l’agression israélienne sur la bande de Gaza, qui avait amplement contribué à mettre en échec le projet d’Union pour la Méditerranée (UPM). La veille même de l’ouverture de ce sommet France-Afrique, en mai 2010, le navire humanitaire turc Mavi Marmara avait été entravé par Israël alors qu’il se dirigeait vers l’enclave palestinienne de Gaza, donnant un autre coup dur à l’UPM, mais aussi au projet d’entente franco-égyptien concernant le Conseil de sécurité.
L’UPM, le deal franco-égyptien, et Alger
Cet événement est important à mentionner car, durant cette période, le débat sur l’élargissement du Conseil de sécurité à de nouveau membres permanents avait fortement agité l’Union africaine (UA). Les Africains avaient réclamé l’obtentiond’au moins deux sièges au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, cependant que les grandes puissances ne voulaient leur en accorder qu’un seul dans un premier temps. L’Algérie, l’Egypte et l’Afrique du Sud étaient perçus par certains comme les poids lourds du continent, et donc les privilégiés. Mais c’était compter sans l’existence d’un deal franco-égyptien,qui voulait que le président français de l’époque, Nicolas Sarkozy, défende l’idée de deux sièges en faveur de l’Afrique au Conseil de sécurité, afin d’assurer une place au Caire, cependant que le poste restant irait à un candidat naturellement doté de suffisamment d’appuis – en l’occurrence, l’Afrique du sud.
Il y avait cependant un autre aspect lié à ce deal. Hosni Moubarak avait pour mission de faire revivre l’UPM (un projet mort-né dans les faits) en tentant de convaincre les pays arabes, dont l’Algérie, de siéger aux côtés d’Israël au sein de cette organisation, et ce, malgré les évènements qui avaient eu lieu à Gaza. C’était évidemment peine perdue.Qui plus est, la chute de Hosni Moubarak, en 2011,enterrera tous ces projets, faisant même perdre à l’Égypte son influence au sein de l’UA.
Le capharnaüm malien, Alger et Rabat
Pour ne rien arranger, c’est l’instabilité politique malienne qui en ajoutera aux soucis de la sous-région. Alger avait d’ailleurs une part de responsabilité dans celle-ci, du fait des tensions qui l’avaient entretenue, des années durant, à l’ancien président malien déchu Amadou Toumani Touré (ATT). ATT avait aussi été lâché par Nicolas Sarkozy, qui financera la rébellion touarègue dans le nord du Mali, en récompense à l’appui des targuis dans la guerre menée par l’OTAN contre Mouammar Kadhafi en Libye.
Cependant, la passivité algérienne lors du putsch militaire contre ATT se verra surtout expliquée par le fait que l’ancien président malien avait tourné le dos à Alger en se rapprochant de Rabat. Le Maroc avait, au passage, été d’un soutien capital au Mouvement pour l’unité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), un groupe terroriste allié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Le MUJAO avait son QG à Gao, ville cosmopolite où les liens des zaouïas avec le Maroc sont très étroits. Par la porte du MUJAO, le Maroc se voyait ainsi consacré comme acteur important dans les évolutions du Mali, cependant que l’Algérie tenait en main à la fois le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA),et le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA, qui entretient également des liens avec la Mauritanie),deux contrepoids utiles pour neutraliser le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA).
Dans ce remue-ménage, Alger parviendra à se replacer en amenant Bamako, le HCUA,le MAA ainsi que d’autres acteurs maliens et régionaux, à choisir Alger comme lieu de discussion pour la paix inter-malienne. Les premières tractations liées à cette donne s’étaient pourtant dérouléesdans l’espace de la Communauté économique de développement de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), et plus précisément au Burkina Faso. C’est d’ailleurs à Ouagadougou qu’eut lieu, le 18 juin 2013, la signature de l’«Accord préliminaire à l’élection présidentielle et aux pourparlers inclusifs de paix au Mali», entre Bamako et les anciens rebelles touarègues ; ce n’est que par la suite qu’Alger prendra le relais. Il n’y a d’ailleurs pas de hasard ici, l’Algérie connaissant plus que quiconque ce dossier pour avoir joué aux intermédiaires au Mali durant la première rébellion touarègue, au début des années 1990. L’actuel Premier ministre Ahmed Ouyahia avait alors été désigné pour mener les négociations et avaitmême réussi à mettre fin à cette rébellion, via un accord qui ne sera toutefois appliqué que partiellement.
La volonté touarègue de disposer d’un État indépendant avait fini par revenir à la surface en 2012, ce qui contraint l’Algérie à activer ses relais et ses moyens diplomatiques dans le souci d’éviter un effet de contagion chez ses propres touarègues. L’attaque contre la base pétrolière de Tigentourine (Hassi R’Mel), en janvier 2013, avait par ailleurs tiré la sonnette d’alarme sur la nécessité de stabiliser le Mali, pays d’où étaient partis les terroristes avant que de passer par le sud libyen. S’ajoute à cela le fait que, durant la période de discussions préliminaires et officielles liées au Mali, une guerre souterraine avait eu lieu entre Alger et Paris ; la France avaiten effet essayé d’imposer le Maroc comme partenaire dans ce processus inter-malien, malgré le fait que Rabat ne partageait pas de frontières avec Bamako.
Enfin, le conflit du Sahara Occidental n’est évidemment pas étranger à cette guerre diplomatique, le Maroc ayant accusé à maintes reprises le Front Polisario d’entretenir des liens avec les groupes terroristes au Mali ainsi que de verser dans la contrebande. Le Maroc avait fini par faire marche-arrière, préférant garder ses atouts économiques au Mali, à travers notamment le secteur bancaire, les services, la restauration et l’hôtellerie. Dans le même temps, la situation dans le nord du Mali a fait que l’Algérie y a perdu des marchés, le coût des exportations vers Bamako étant devenu excessif, combinaison de voies terrestres et maritimes d’approvisionnement oblige. L’Algérie se sentira dès lors l’obligation de déployer un autre bras diplomatique : l’imamat.
« Politique de l’imamat » et relais sociopolitiques
Le 29 janvier 2013, Alger abriterale Congrès constitutif de ce qui sera appelé la « Ligue des Oulémas, prêcheurs et imams des pays du Sahel». La création de cette instance répondait au besoin que ressentaient les Algériens de lutter contre l’extrémisme religieux, sur le plan spirituel commeà échelle politique. Le Sahel et les pays de l’Ouest étant réputés être tolérants sur le plan religieux, la création de cette Ligue s’avérait idéale pour qui désirait sensibiliser les esprits sur la présence d’un extrémisme religieux dans cette région, et tenter de convaincre les populations locales de participer à la promotion de la paix. Trois ans auparavant, par volonté de sa part d’appuyer le Comité d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC, dont le siège est à Tamanrasset), Alger avait lancé l’Unité de fusion et de Liaison (UFL), en partenariat avec d’autres pays africains de la région (Mali, Mauritanie, Niger, Burkina-Faso, Libye et Tchad). Cette UFL avait plusieurs missions principales : collecter,traiter et échanger des renseignements sécuritaires au profit du CEMOC ; réfléchir aux mesures de lutte contre le terrorisme sur les plans politique, militaire et même social, à travers des campagnes de sensibilisation contre le radicalisme ; accompagner,sur les plans économique et social,les populations des pays impliqués dans cette unité; et enfin, mettre en place une stratégie de communication au profit du CEMOC.
L’intention d’Alger était claire. Consciente du poids des réseaux associatifs et des organisations humanitaires et de la société civile, elle voyait ici un moyen efficace d’accéder à l’information de première main et d’opérer donc efficacement sur les plans diplomatique et opérationnel, tout en disant respecter bien sûr le principe de non-ingérence militaire dans les affaires des pays concernés.
Entre allié sud-africain et partenaire éthiopien : l’Algérie au sein de l’Union africaine
L’affaiblissement de certains pays africains, l’instabilité soufferte par d’autres, et l’effacement de leur dette par l’Algérie, ont ouvert à cette dernière la voie à un retour en force au sein de l’UA. Les États membres, malgré leurs problèmes internes, avaient compris la nécessité de parler d’une seule voix aux fins de défendre les intérêts d’un continent transformé en nouveau terrain de jeupour les grandes puissances.
Outre les anciennes puissances coloniales et leur jeu déployé au début des années 2000, de nouveaux acteurs avaient commencé à s’installer sur le continent, avec à leur tête la Chine, l’Inde et les États-Unis, mais aussi Israël. C’est ce qui explique pourquoi l’Algérie installera des diplomates habiles à l’UA, à l’instar de RamtaneLamamra, le « Monsieur Afrique » de l’Algérie, ou de Smail Chergui, son successeur à la tête de la Commission pour la paix et la sécurité de l’UA. Il faut d’ailleurs rappeler ici que le passage de l’OUA à l’UA avait été acté à Durban, en Afrique du Sud, en juillet 2002. A l’acte constitutif de l’UA, les Africains avaient joint le lancement en parallèle du Nouveau partenariat pour le développement en Afrique (NEPAD, New Partnership for Africa’sdevelopment), un projet initié par Abdelaziz Bouteflika, Abdoulaye Wade (Sénégal), Thabo Mbeki (Afrique du sud) et Olusegun Obasanjo (Nigeria).
Pour l’Algérie, il s’agissait de déployer une action-chocsur le plan diplomatique. Mais pourtant, depuis, peu de choses semblent avoir été réalisées dans le cadre de ce partenariat, et ce bien que l’un des objectifs du NEPADait été de propulser l’Afrique vers de meilleurs horizons et de lui permettre de se hisser à la hauteur d’autres blocs actifs sur le continent.
Car finalement, et malgré ses intentions, l’Algérie donnera l’impression d’avoir tourné le dos à l’Afrique, comme en témoignerontnotamment les voyages officiels somme toute limités qu’effectuera Abdelaziz Bouteflika dans plusieurs pays africains. Il faudra attendre 2009, et le Festival Panafricain d’Alger, pour se rendre à quel point l’Algérie était déconnectée du reste du continent.Un indicateur fort en ce sens transparaît dans le fait que les ambassades algériennes présentes sur le continent africain n’assurent pas leur rôle de poste avancé pour la promotion de l’économie algérienne, l’aide aux investisseurs locaux ou encore le développementd’un cadre de coopération économique efficace.
Il demeure cependant un allié de taille sur lequel l’Algérie peut toujours compter pour défendre des positions communes sur le plan continental : l’Afrique du Sud. En 2001, alors que la Kabylie s’embrasait, le président de la République algérienne s’était offert un déplacement au Nigeria pour assister à un sommet de l’Union africaine sur le Sida. Lors de la séance de discussions à huis-clos, le président du Sénégal Abdoulaye Wade avait demandé la mention des évènements de Kabylie sur la liste des points inscrits à l’ordre du jour. Furieux, Abdelaziz Bouteflika ne dira pourtant rien, dans un contexte de relations tendues entre l’Algérie et le Sénégal à cette époque. C’est en fait son ami, le président sud-africain Thabo Mbeki, qui se chargera de répondre à sa place, en incendiant Abdoulaye Wade.
L’Afrique du sud fait aussi du lobbying pour défendre la cause sahraouie auprès des pays anglophones du continent africain. Un des volets de la diplomatie algérienne en Afrique est la formation militaire élargie assurée dans les écoles militaires algériennes,ainsi que la gratuité de la formation universitaire des étudiants africains. Depuis les années 1970, l’Algérie a formé plus de 100.000 diplomates africains, selon l’ancien ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra. Il faut noter que l’Algérie entretient aussi d’excellentes relations avec l’Éthiopie, qui abrite le siège de l’Union africaine. Une dynamique d’échanges diplomatiques et économiques a ainsi été mise en place par la nouvelle ambassade éthiopienne à Alger,dans le but d’attirer les investisseurs algériens en Éthiopie et de trouver des partenaires algériens pouvant aider au placement des produits éthiopiens sur le marché algérien.
Enfin, l’Algérie arepris le projet de la transsaharienne, route qui devrait lier Alger aux capitales du Sahel, en débloquant notamment des fonds à cet effet. Mais la situation sécuritaire demeure un frein pour achever ce projet qui pourrait pourtant consacrer l’Algérie comme tête de pont entre l’Afrique et les pays de l’espace méditerranéen.
L’Algérie a en effet des ambitions qui font sens, au vu surtout du potentiel que pourrait lui assurer le déploiement d’une politique africaine efficace. Mais demeure, en parallèle la question de savoir jusqu’à quel point Alger entretiendrait une vision réelle qui dépasserait le seul cadre de sa rivalité avec certaines de ses voisins régionaux. Dépasser craintes et rancunes serait pourtant le meilleur des catalyseurs pour une politique algérienne qui demeure bien en-deçà de ses capacités.
Ameziane Rachid
Les blocages de la diplomatie algérienne, pour Ameziane Rachid
L’Algérie n’est pas concernée que par le dossier du Sahara occidental, affaire dont la résolution ne pointera d’ailleurs pas à l’horizon de sitôt. La multiplication des foyers de tension dans la région de l’Afrique du nord et du Sahel fait peser sur l’Algérie une forte pression. La crise libyenne, la fragilité de la Tunisie, la crise politico-sécuritaire qui a déstabilisé le Sahel, avec l’apparition du terrorisme islamiste et son extension à plusieurs endroits de la bande sahélo-saharienne, l’obligent non seulement à renforcer son dispositif sécuritaire et les moyens de défense militaire disposés à ses frontières, mais aussi à s’activer davantage sur le plan diplomatique. Et c’est sur ce plan que le travail s’avère être le plus difficile. Causes principales pour cela : la multiplication des acteurs, dont chacun a son propre agenda ; la complexité des crises en cours ; et la rapidité avec laquelle les équilibres géopolitiques connaissent des bouleversements.
Alger défend le principe de non-ingérence militaire dans les pays en crise, comme on peut le voir au Mali ou en Libye, deux pays où ses efforts visent à encourager le dialogue politique inclusif sur le plan interne, et à favoriser la distribution d’une aide humanitaire qui serait placée sous l’égide de l’ONU et des organisations internationales. Par ailleurs, elle essaie aussi de promouvoir cette vision chez ses partenaires au sein des organisations régionales, continentales ou internationales. Mais cela ne se fait pas sans une certaine gymnastique, un exercice auquel Alger s’adonne sans paraitre évidemment perdre la main sur des dossiers aussi brûlants que celui de la Libye et du Sahel.
Tunisie et Libye : une neutralité contre-productive…
Depuis la révolte citoyenne et le soulèvement de la population tunisienne contre le régime maintenant déchu de Ben Ali, l’Algérie a adopté une position assez ambiguë. Elle avait ainsi déclaré depuis le début s’aligner sur « ce que décident les Tunisiens », voyant comme important le respect de leur volonté. Il en est allé de même dès les débuts de la crise en Libye. Et si Alger affirmait à qui voulait bien l’entendre que les Libyens devaient trouver un terrain d’entente pour sortir de la crise, sa diplomatie n’a pas jugé nécessaire de dénoncer les violations des droits de l’homme dont étaient victimes des centaines de Libyens. Au summum de la crise, Alger a accepté d’accueillir des membres de la famille Kadhafi, suscitant un tollé en Libye. Ce positionnement lui a fait valoir l’inimitié de nombreux acteurs politico-militaires et tribaux libyens, qui refusèrent de reconnaître à Alger un rôle dans le processus de sortie de crise. Mais du fait de sa position de pays voisin, la participation de l’Algérie à ce processus s’imposera finalement d’elle-même.
Alger réussira même à convaincre les Libyens, toutes tendances confondues, à s’asseoir – même si de manière officieuse – autour d’une même table. C’était à la mi-avril 2015, à l’hôtel al-Aurassi, où l’Algérie organisait une première rencontre à laquelle les partisans de « l’ancien régime ». Mais c’est finalement dans la ville marocaine de Skhirat que le processus de discussion accouchera d’un premier accord, parrainé par l’ONU, entre les parlements de l’est et de l’ouest libyen. Aujourd’hui, l’accord de Skhirat sert de base de travail pour les Libyens et la communauté internationale, bien que sa mise en application sur le terrain demeure tributaire de l’aval du Parlement élu de Tobrouk (est).
Crise malienne et terrorisme dans le Sahel : une distance aux effets timorés
Côté Sahel, c’est dès son arrivée à l’Élysée, au printemps 2012, que le président François Hollande avait annoncé la couleur de ses choix stratégiques : lutter en priorité contre le terrorisme dans le Sahel. Il était ainsi allé à la rencontre des soldats français de l’opération Barkhane, à Kidal, égratignant d’ailleurs indirectement au passage l’Algérie en faisant allusion à son refus de s’impliquer au Mali au-delà de l’accord de paix et de réconciliation parrainé par l’ONU. La réponse d’Alger ne se fera pas attendre ; elle dénoncera l’attitude française à travers les médias, obligeant l’Élysée à réagir en retour via des circuits similaires. Alger finira par rappeler son attachement au principe de non-ingérence militaire en-dehors de ses frontières.
La visite du président français Emmanuel Macron le 6 mai 2017 en Algérie était quant à elle très attendue. Ne pouvant pas impliquer l’Algérie militairement, ce dernier entretenait cependant le souhait qu’Alger puisse lui fournir l’aide nécessaire au renforcement de la nouvelle force régionale du G5 Sahel, dont les problèmes de financement affectaient déjà l’efficacité opérationnelle. L’Algérie, déjà engagée pour sa part dans le Comité d’État-major conjoint (CEMOC), organisme qui regroupe quatre pays (Algérie, Mali, Niger et Mauritanie) et dont le siège se situe dans l’extrême sud algérien à Tamanrasset, fera valoir que la lutte contre le terrorisme passe d’abord par le développement socioéconomique. Lors de la réunion de l’« Initiative 5+5 de la Méditerranée occidentale », qui se déroulera à Alger le 21 janvier 2018, le ministre algérien des Affaires étrangères Abdelkader Messahel rappellera que, selon lui, la lutte contre le terrorisme, contre le trafic de drogue et contre l’émigration clandestine ne pouvaient se faire que sur la base d’une combinaison entre lutte armée d’un côté, et solutions relevant du champ économique de l’autre.
Proche et Moyen-Orient : l’absence de constance…
L’Algérie a tranché sa position vis-à-vis de la question israélo-palestinienne ; quand bien même elle refuse que le Hamas ouvre un bureau de représentation à Alger, elle ne soutient pas moins le droit des Palestiniens à obtenir leur État. Mais pour le reste, les positions d’Alger concernant les crises qui secouent les pays du Proche et Moyen-Orient sont fluctuantes.
Il en est ainsi de l’intervention militaire saoudienne au Yémen, engagée depuis mars 2015. L’Algérie ne fait pas partie des pays engagés dans la « Coalition arabe », coalition menée par Riyadh et qui, officiellement parlant, agirait au Yémen pour faire rétablir l’ordre institutionnel suite à la prise de la capitale Sanaa par les Houthis. Sur le plan diplomatique, Alger est loin de soutenir une telle intervention, bien que la Ligue Arabe l’ait approuvée. Mais l’Algérie ne réagit pas non plus à la mort de civils, victimes collatérales d’une guerre par procuration qui prévaut entre l’Iran, qui soutient les Houthis, et l’Arabie Saoudite, qui soutient le gouvernement de Abdrabbo Mansour Hadi exilé à Aden. Voulant rester à équidistance entre ces deux puissances régionales, avec lesquelles elle entretient des relations étroites, Alger se contente ainsi de dénoncer les tirs de missiles qui visent régulièrement Riyad, via des communiqués laconiques émanant du porte-parole de son chef de la diplomatie.
Alger a adopté le même silence ambigu au début de la crise syrienne, tout en accueillant par centaines des Syriens qui ont fui la guerre. Mais elle a fini par se positionner clairement aux côtés du gouvernement quelques mois plus tard, au nom du respect de la souveraineté de la Syrie et de la volonté des Syriens de régler leur crise eux-mêmes et sans aucune ingérence étrangère. L’Algérie fait partie des rares pays qui demandent la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe, laquelle est aujourd’hui sous domination saoudienne. Cependant, le poids d’Alger au sein de l’organisation « panarabe » est très limité. Preuve en est, la dernière condamnation en date de l’Iran par le Maroc, qui l’accuse de soutenir le Front Polisario par l’intermédiaire du Hezbollah libanais. Si la Ligue arabe a dénoncé ce présumé soutien de l’Iran et cette présumée ingérence de Téhéran dans le monde dit arabe, tout en évitant de faire une quelconque référence à Alger, l’Algérie apprécie cependant très moyennement ce soutien apporté au Maroc. Et c’est ainsi que, même au sein de l’opinion publique algérienne, la présence de l’Algérie dans l’organisation panarabe est un sujet qui prête souvent à polémique.
Une diplomatie inaudible ?
Se trouve-t-on donc aujourd’hui face à une diplomatie algérienne inaudible ? C’est l’une des questions que se posent maintenant beaucoup d’Algériens. Car, depuis la maladie du président Abdelaziz Bouteflika, tout le monde s’accorde à dire que l’Algérie a perdu de son aura, après avoir réussi à revenir sur la scène internationale au début des années 2000. Le prix du pétrole aidant à monter la pente sur le plan économique, l’Algérie a pu se repositionner au sein de l’Union africaine, et se prévaloir du rôle de pays exportateur de stabilité dans le continent noir et vers le reste du monde. L’activisme diplomatique de Abdelaziz Bouteflika a beaucoup contribué au retour de l’Algérie sur la scène continentale. L’adoption à marche forcée de la loi sur la réconciliation nationale, en septembre 2001, a fait le reste pour redorer le blason du pays sur la scène internationale.
L’Algérie a également su tirer profit des tragiques attentats du 11 septembre 2001, qui ont rattrapé les États-Unis et leurs alliés occidentaux. Soutiens des islamistes contre l’occupant soviétique de l’Afghanistan, terre d’accueil de nombreux islamistes algériens de la décennie noire, ces pays se sont ensuite tournés vers l’Algérie pour profiter de son expérience dans la lutte contre le terrorisme. Mais l’Algérie n’a pas pour autant réussi à se hisser au rang des acteurs diplomatiques incontournables du Moyen-Orient. Prisonnière d’une certaine sclérose prévalant au niveau des logiques du pouvoir, tout se passe comme si elle demeurait incapable de se projeter dans l’avenir. Une tendance qui semble d’ailleurs devoir continuer à s’imposer tant qu’une question fondamentale, celle de la succession présidentielle, n’aura pas été tranchée.
Ameziane Rachid