Depuis 2001, l’idée de l’autonomie de la Kabylie s’est muée en une revendication de l’indépendance de cette région. Ainsi, le Mouvement de l’autonomie de la Kabylie (MAK), lancé en avril 2001 par Ferhat Mhenni et d’autres militants désabusés par les dépassements du régime en place et le manque de solidarité des autres régions dans leur lutte pour la démocratie, a pu drainer beaucoup de sympathisants au fil des ans. Il a été rejoint, non seulement par des anciens du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) et du Front des Force Socialistes (FFS de Hocine Ait Ahmed), mais aussi par de nombreux citoyens qui n’ont jamais cru en l’Etat-Nation tel que visualisé par Alger et les autres régions du pays. Les déçus du mouvement Citoyens de Kabylie, plus connu sous l’appellation du Mouvement des Arouch (Tribus), ont aussi rallié le MAK, estimant que seule une autonomie de la Kabylie est susceptible d’apporter le bien-être aux habitants de la région, ainsi que du développement et de la quiétude.
Le GPK, le MAK et la question de la décentralisation
Se sentant trahis par les représentants du mouvement citoyen qui avaient négocié avec le gouvernement pour mettre fin à la crise de 2001, de nombreux Kabyles ont investi le terrain pour arracher l’autonomie de la Kabylie, avant de se radicaliser en réclamant carrément l’indépendance. Dans son exil, le leader du MAK, Ferhat Mhenni a opté aussi pour la radicalisation en lançant le Gouvernement provisoire de Kabylie (GPK-Anaved), évitant toutefois de tomber dans le piège de la lutte armée (une option qui fera perdre à sa cause toute légitimité et l’anéantira à coup sûr). Aussitôt autoproclamé, le GPK a suscité un tollé, y compris chez les plus chauvins du MAK, qui y ont vu une décision hâtive et unilatérale de la part de M. Mhenni.
Mais ce qui est fait est fait. Ainsi, le GPK représente maintenant la cause kabyle à l’étranger, cependant que le MAK continue d’être le bras politique de la lutte en Algérie. Le mouvement est cependant soumis à une surveillance intense en Algérie, et ses membres et parfois ses sympathisants sont constamment soumis à des arrestations arbitraires avant que d’être relâchés, une pratique visant à tenter de les démobiliser en leur faisant peur. Cela n’a pourtant pas eu d’effets, puisque le MAK continue de drainer du monde, alors que le gouvernement algérien enchaîne les échecs dans sa gestion du pays, échecs dont les conséquences sont visibles à l’œil nu. Les scandales de corruption au sommet de l’Etat ont renforcé la conviction des Kabyles, y compris dans la frange la moins politisée – voire pas politisée du tout -, de trouver une solution de remplacement à l’Etat central, et de tuer le mythe du FLN qui sert les intérêts d’une partie de la société algérienne.
Dans l’impossibilité d’un mouvement de répression massive des animateurs et des sympathisants de l’autonomie de la Kabylie, le régime a donc recours à d’autres méthodes. Et c’est ainsi qu’il laisse promouvoir l’idée de la décentralisation progressive, en annonçant un plan de découpages administratifs qui s’étalera sur plusieurs années. Cela ne suffit néanmoins pas à calmer l’ardeur des Makistes (les gens du MAK) qui tiennent à l’idée d’autonomie pour certains et d’indépendance pour d’autres.
L’affaire Chebib
Le régime joue donc la carte du dialogue informel avec les leaders du MAK et du GPK. Mais Ferhat Mhenni a préféré charger son représentant en Algérie, le patron du MAK, Bouaziz Ait Chebib, de cette mission. C’est ainsi que M. Ait Chebib a entamé des discussions avec des représentants de la présidence, mais celles-ci ont visiblement échoué. De plus, vu dès lors comme personne qui a voulu négocier avec le régime, M. Ait Chebib est devenu un traitre aux yeux de ses amis et camarades.
Bouaziz Ait Chebib a-t-il été piégé par Ferhat Mhenni ? Et si c’était le cas, pourquoi ? Au sein du MAK, on estime que M. Ait Chebib a été victime de la volonté de Ferhat Mhenni de tout contrôler. Ce comportement de la part de Ferhat Mhenni aurait été provoqué par le fait qu’il ait senti que le MAK commençait à lui échapper en Algérie, où un mandat d’arrêt délivré par les autorités l’a contraint à vivre en exil en France, d’où il lui est cependant difficile de maintenir la mainmise sur le mouvement, ses actions et sa littérature. Pour sa part, en demandant à négocier, le régime savait qu’il jouait une carte efficace, même si le but n’était pas d’aboutir à un compromis avec le MAK. Car, le régime en place, pressé par la classe politique de lâcher du lest en optant soit pour la régionalisation, soit pour le fédéralisme, savait que son idée allait créer la zizanie au sein du mouvement autonomiste. Et pour cause, les partisans du MAK ne sont pas tous d’accord pour l’idée de l’indépendance ni pour une autonomie totale qui les couperait du reste de l’Algérie.
Une cause atomisée
L’idée telle que formulée par le MAK historique et le GPK dessert pourtant les intérêts de la Kabylie, selon les estimations de nombreux militants modérés de l’autonomie de la région, dont certains étaient d’ailleurs des militants du FFS et du RCD. Ces derniers défendent respectivement le fédéralisme et la régionalisation mais avec le maintien de l’Etat unitaire. Et le régime sait qu’il peut compter dans une certaine mesure sur ces deux formations politiques pour freiner le MAK, voire le discréditer aux yeux des Kabyle et du reste de l’Algérie. Cet épisode de discussions a donc fini par provoquer une crise interne au sein du MAK et a atteint le sommet du GPK, créant ainsi un climat de suspicion et de méfiance, ponctué par des communiqués interposés et un échange d’accusations sans le moindre fondement ni une quelconque preuve formelle. Autrement dit, le MAK risque d’imploser à n’importe quel moment, en perdant d’abord ces membres fondateurs, mais aussi à cause de Ferhat Mhenni qui fait petit à petit le vide autour de lui. Ses sorties médiatiques et ses liens présumés avec des puissances étrangères lui ont aussi fait perdre le capital sympathie dont il disposait au début.
Enfin, outre cette stratégie de la part du régime visant à faire imploser le MAK, prévaut aussi la politique du clonage et de la dissidence, qui a déjà fait ses preuves, et qui continue de fonctionner dans le domaine syndical. Pour mieux «assassiner » le MAK, le régime déploie ses satellites. Ceux-ci ont ainsi lancé le Rassemblement pour l’autonomie de la Kabylie (RPK), dont la presse s’est faite l’écho, afin de contrecarrer le mouvement de Ferhat Mhenni. Des universitaires et des cadres administratifs, rejoints par des syndicalistes et des militants venus d’autres horizons, avaient été mobilisés pour lancer le RPK.
A. Rachid
* Ameziane Rachid est le pseudonyme d’un militant basé en Kabylie.